Interrogez les salariés autour de vous sur leur état de bien-être au travail. Vous constaterez que très souvent un grand nombre ne trouvent plus de sens à leur quotidien professionnel. Pire, ils ne savent pas toujours à quoi sert ce qu’ils font tout au long de la journée. Or, l’être humain ne peut vivre dans un monde qui n’a pas de sens. Si nous n’agissons pas, il y a fort à parier que les millions de salariés qui aujourd’hui déjà ne trouvent plus de sens à leur travail ne développent une contagion du mal-être en entreprise. La motivation est rarement contaminante. La démotivation, oui !
Le 22 mai dernier, se tenait à Paris, au siège de l’Unesco, l’assemblée générale de l’association citoyenne, l’Elan Nouveau des Citoyens.
Présidé par le Dr Philippe Rodet, cette association a, entre autres, pour vocation, à remettre l’homme, le citoyen, au cœur de la cité. Il n’est donc pas surprenant de voir siéger à la présidence d’honneur de cette association Jacqueline de Romilly de l’Académie Française, historienne et spécialiste internationale de la culture grecque antique et le spationaute Jean-Loup Chrétien. La conjugaison de la tête dans les étoiles et des pieds sur terre, le mariage du futur de l’espace avec le passé de notre histoire.
L’un des orateurs, Fabrice Pollet, chef d’entreprise et membre du Centre des jeunes dirigeants (CJD) a traité dans son intervention de la perte de sens qu’il constate dans les entreprises et des efforts que lui-même et son équipe développent dans son entreprise, afin d’y pallier. Son intervention a beaucoup tourné autour de mots ou d’expressions comme : engagement, sens de l’action, valeurs, projets. Des mots et expressions qui rejoignent les réflexions de Christian Lemoine un avant-gardiste en matière de conseil en management, qui avait coutume de dire lors de ces interventions, qu’un homme en projet est imbattable, infatigable, et ajouterait-il probablement aujourd’hui, moins sensible au « mauvais » stress. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que le CJD, tout comme l’élan nouveau des citoyens aient fait de la lutte contre les stress l’un de leurs atouts majeurs pour 2008-2009.
Le constat fait au quotidien dans certaines entreprises, laisse apparaître que le stress, est parfois dû à l’inexistence même des mots évoqués plus haut : sens de l’action, valeurs projets, engagement. Tant que ne seront pas réhabilitées les notions d’engagement et de valeurs professionnelles et que les employeurs ne développeront pas d’efforts pour redonner du sens au travail, alors nous risquons de continuer à glisser sur la pente de la morosité et d’une certaine forme de déconstruction sociétale.
Les entreprises touchées par ce phénomène sont-elles si démunies qu’elles n’entrevoient plus de solutions ? Pourtant, ce n’est pas les propositions qui manquent. Quantité d’ouvrages paraissent sur le sujet ; l’un des derniers en date L’Entreprise réconciliée de Jean-Marie Descarpentries et Philippe Korda propose avec beaucoup de pertinence de réconcilier potentiel économique et potentiel humain en offrant une multitude de pistes dont certaines ne semblent relever que d’un simple bon sens. Mais le bon sens existe-t-il ou n’est-il que le reflet de notre façon de voir les choses.
Quoi qu’il en soit, la conjugaison au cynisme de l’époque que nous traversons, associée à une forme de développement sauvage de l’individualisme ainsi qu’à la perte des « anciens repères » : religion, politique, spiritualité et philosophie, conduit un certain nombre de salariés et même d’organisations à ne plus trouver de sens à leur quotidien et parfois à offrir ainsi des terrains propices au développement du stress. Est-ce à dire qu’il faut réhabiliter les « anciens repères », je ne me hasarderais pas sur ce terrain, étant par nature adogmatique et respectueux de toutes des formes de convictions, de croyances ou de religions, dès lors, bien sûr, que celles-ci sont conformes à ce que j’appellerais la citoyenneté éthique et donc non nuisibles aux citoyens de cette société. Mais il est curieux de se rappeler que l’on rejoint là une citation prêtée à André Malraux : « Le XXIe siècle, disait-il, sera spirituel ou ne sera pas ».
Je ne développerais pas les raisons de la perte de sens au travail qui s’amplifie année après année, en France, mais force est de constater que le domaine d’activité, l’environnement social, l’attrait ou l’absence d’attraits, tant du poste que de l’organisation impactent également sur le rapport du salarié à son entreprise. Travailler chez Google, dans une start-up, ou dans des univers que les Anglo-Saxons qualifient de « sexy » : mode, pub, médias, high-tech, etc., peut être générateur de sens pour un grand nombre de salariés de ces structures, mais qu’en est-il pour les millions de salariés qui travaillent dans des organisations ou à des postes qui peuvent être ressentis comme étant moins attrayants. Ne voulant heurter aucune organisation professionnelles privées ou publiques, je m’abstiendrais de citer, tant des domaines d’activités que des postes qui pourraient et sont souvent ressentis comme n’étant pas particulièrement attrayants.
Certes, parmi ces salariés, certains seront porteurs de projets personnels ou professionnels (ambition, plan de carrière, etc.). Mais pour tous ceux qui n’ont pas de projets, pas de but, pas de vision. Qui n’ont plus accès aux « anciens repères » ou qui s’en sont détachés, quelle est la réponse à ce mal-être ?
Quel est le salarié qui peut trouver du sens à son quotidien, dans une répétitivité de tâches et face à une nouvelle forme de taylorisme tertiaire naissant ?
Quel est le salarié qui peut trouver du sens à son quotidien quand le management « baisse les bras ? », voire quand il y a un management digne de ce nom.
Quel est le salarié qui peut trouver du sens à son quotidien quand il ne connaît pas l’utilité de son travail et que le management est inexistant ?
Quel est le salarié qui peut trouver du sens à son quotidien quand l’exigence s’amplifie et que, dans le même temps, la reconnaissance, dont on ne peut ignorer qu’elle est un facteur impératif à l’implication, la motivation et par-là même la performance professionnelle n’existe pas ?
Quel est le salarié qui peut trouver du sens à son quotidien quand des mots comme autonomie et créativité sont absents du discours managérial et surtout des méthodes de travail ?
Quel est le salarié qui peut trouver du sens à son quotidien quand l’entreprise entreprend changements sur changements sans même valoriser et reconnaître les efforts fournis et ayant permis l’aboutissement des changements précédents ?
Doit-on tenir rigueur au dirigeant des organisations dans lesquelles travaillent les salariés décrits ci-dessus ? Certes, non, s’ils ont des responsabilités dans cette situation, ils n’en sont pas pour autant coupables (pardonnez-moi ce trait d’humour involontaire).
Mais ne l’oublions pas, il y a dix ans, la perte de sens au travail était balbutiante. Il restait un reliquat des « anciens repères » qui continuent à se désagréger. Autre temps, autres mœurs.
Force également est de constater qu’antérieurement à ces dix ans, le lien social conjugué à la convivialité dans un monde ou le « politiquement correct » n’existait pas encore, donnait plus de liant aux relations professionnelles et offrait ainsi plus de sens au quotidien. Nous sommes entrés depuis dix ans dans l’ère de la mondialisation, certains l’appellent la globalisation. Pas de retour en arrière possible. Bien ou mal n’est pas le thème de la réflexion. Nous ne pouvons pas changer hier, mais nous pouvons agir aujourd’hui, ici et maintenant pour faire un meilleur « demain ».
Il faut donc, si nous voulons continuer à construire du progrès, tant social qu’économique, si nous voulons redonner du sens au quotidien, si nous voulons prévenir le stress et non le traiter, réconcilier les potentiels économiques et humains de toutes nos organisations professionnelles.
Remettre l’homme au cœur de toutes les actions, au cœur de la cité, au cœur des organisations professionnelles et publiques. Se rappeler que l’économie est au service de l’homme et pas l’inverse. Pas d’économie sans l’homme, mais sans l’homme, pas besoin d’économie. Ces deux forces doivent se réunir sans contraintes, sans s’opposer et, à défaut de regarder la même chose, regarder dans la même direction. Si nous n’agissons pas, il y a fort à parier que les millions de salariés qui aujourd’hui déjà ne trouvent plus de sens à leur travail ne développent une contagion du mal-être en entreprise. La motivation est rarement contaminante. La démotivation, oui !
Comme le dit Philippe Rodet dans son livre Le Stress, nouvelles voies, le salarié doit être convaincu de l’utilité de son activité à l’égard de ses collègues, d’autrui et d’une manière plus générale de la société. Henri Bergson, ajoute-t-il, faisait déjà état du lien naturel entre « intérêt personnel et intérêt général ».
L’on entend souvent parler de la notion de « Projet entreprise ». Est-ce à dire qu’il faut un projet d’entreprise fort pour mobiliser les effectifs ? Une chose est sûre, si c’est le cas, ce n’est en rien nuisible. Mais l’absence de projet d’entreprise est elle préjudiciable à la pérennité de l’organisation ? Heureusement, non ! Car il y a des palliatifs qui peuvent réunir une entreprise, une organisation et ses salariés autour de visions partagées autres que le « projet d’entreprise ».
L’association d’une entreprise ou d’une organisation professionnelle à une action citoyenne en est une possibilité. L’investissement dans une action dont le but est d’améliorer la vie des citoyens de la cité est propice à fédérer des salariés autour de cette action. Il y a nature à créer une vision partagée entre salariés et employeurs et ainsi recréer du liant, du lien, lutter efficacement contre le stress et surtout redonner du sens au quotidien. Et ce ne sont pas les associations qui manquent. Il y a quelques années, Jean Boissonnat écrivait : Si l’on veut que les choses changent par en haut, on risque d’attendre longtemps ou d’y perdre notre liberté. Si on veut qu’elles changent par en bas, il faut construire et diffuser une culture de la responsabilité.
Un grand nombre d’entreprises sont aujourd’hui citoyennes, responsables et impliquées dans la vie de la cité. Quand elles partagent leurs actions d’implication dans la vie de la cité en soutenant des initiatives citoyennes et qu’elles y associent les collaborateurs qui veulent s’y engager, alors les mots et termes : engagement, sens de l’action, conscience professionnelle, autonomie et créativité font partie de leur culture. Ce sont des entreprises en progrès qui ont compris que la performance cela se construit et qu’au-delà des compétences, c’est l’envie et la motivation qui donnent du sens à l’action.