Souvent, on voit le travail comme un fardeau, source de maladies, dont le principal intérêt est de nous permettre de vivre et de faire vivre nos proches. Et si la réalité était plus complexe que cela ?
Certes les accidents du travail existent ! Certes, des maladies professionnelles sont à déplorer. Mais, on a aussi, en mémoire, des exemples de personnes tombées malades au moment où leur activité professionnelle cessait. On connaît également des personnes âgées dans un état de santé exceptionnelle alors qu’elles continuent à travailler.
Le travail peut-il être compatible avec le bien-être ? Certainement, dès lors que certaines conditions seraient respectées. Nous allons aborder ici trois de ces conditions.
L’utilité de son activité :
On se rend compte que le travail d’une personne peut rimer avec bien être s’il est utile à ses collègues. On ne doit donc pas travailler simplement pour réaliser la mission demandée mais parce que la réalisation de celle-ci influe sur la qualité du travail de ses collègues. Une aide soignante, dans un hôpital, allant prévenir l’interne que tel patient débute au niveau du dos une réaction cutanée, ne vivra pas son travail de la même manière que si elle se contentait de faire la toilette du patient. Dans un document intitulé « Travail et Santé », Philippe Davezies apporte une justification médicale à cet aspect : « la perception de l’activité d’autrui active, dans le cerveau, des réseaux de neurones qui réagissent à cette activité de la même façon que s’il s’agissait de la propre activité du sujet sur cet objet. ». En une phrase, si on facilite l’activité de son collègue grâce à son propre travail, on en retire une satisfaction.
Une autre condition du bien-être au travail repose sur le fait que le celui-ci soit utile à autrui et d’une manière plus générale à la société. Cette dualité entre intérêt personnel et intérêt général était explicité par Henri Bergson : « le pur intérêt personnel est devenu à peu près indéfinissable, tant il y entre d’intérêt général, tant il est difficile de les isoler l’un de l’autre ».
On trouve également cette dualité entre intérêt personnel et intérêt général, sous une forme proche chez Emile Durkheimdans « Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales ».
Si l’on prend deux groupes d’employés qui ne disposent pas du temps nécessaire pour accomplir leur mission, le groupe qui essayera coûte que coût de mener à bien sa mission sera moins atteint sur le plan de sa santéque le groupe qui, considérant les conditions inacceptables, accepte l’idée de bâcler son activité cardans ce cas, il prend conscience que son action est pratiquement inutile pour autrui et donc pour la société.
On peut penser,dans le même ordre d’idées, qu’une activité professionnelle responsable sur le planenvironnemental sera plus bénéfique pour la santé du salarié que si celui-ci sait que les répercussions de son travail sont catastrophiques pour la planète. L’engagement éthique d’une entreprise présente donc, en plus des bienfaits inhérents à la responsabilité économique, sociale et environnementale, des impacts intéressantssur le bien-être de ses salariés.
La liberté d’action :
La liberté d’action ou tout au moins une part de cette liberté semble indispensable au bien-être du salarié. On peut parfois être tenté de penser que plus on réduit cette liberté, plus le travail sera réalisé selon des critères optimaux et plus il sera efficace. Il n’en est rien car, à ce moment là, il devient source d’une souffrance morale. L’habileté semblerait résulterdans le fait de fixer un cadre à l’exercice de l’activité et de laisser le salarié habiller son cadre comme cela lui semble le plus efficace. Paul Ricoeur n’assimile t-il pas la souffrance à « l’amputation du pouvoir d’agir » ?
Le pouvoir d’agir est extrêmement protecteur et on peut l’illustrer par une situation concrète. Dans un véhicule, la personne la plus stressée n’est pas celle qui conduit mais celle qui est à côté du conducteur, qui elle n’a pas le pouvoir d’agir. C’est ainsi que les torticolis secondaires aux longs déplacements en voiture, correspondant le plus souvent à une contracture des muscles para vertébraux cervicaux sous l’influence d’une stimulation de leurs récepteurs au stress, sont toujours plus violents chez le passager que chez le conducteur.
Cette influence du pouvoir d’agir sur le bien être est également vraie chez l’animal. On s’est aperçu que si l’onmet des ratsdans une cage où ils vont pouvoir, par leur action, éviter une décharge électrique, leur état de santé sera préservé. A l’inverse, si quoi qu’ils fassent, ils n’ont pas la possibilité d’échapper aux décharges électriques, très vite, ils se laissent mourir. Au niveau de leur cerveau, une enzyme, nécessaire à la production d’un neuromédiateur, n’est plus synthétisée entraînant la chute du taux du neuromédiateur en question et de ce fait un état dépressif majeur. On pourrait presque en conclure que le « pouvoir d’agir » est une des composantes de l’élan vital.
Les relations inter humaines :
En partie en raison du développement de l’informatique, en partie par la volonté de répondre aux exigences de performance de l’entreprise, on a considérablement réduit les relations inter humaines au sein de l’entreprise. Et cependant, l’envoi d’un courrier électronique, même sympathique, ne remplacera jamais l’expression concrète de félicitations. Récemment, un salarié expliquait, lors d’une émission de radioconsacrée aux conséquences du stressdans l’entreprise, avoir été informé d’une augmentation de salaire par… courrier électronique !
Dans certaines entreprises, les relations entre services complémentaires ne se font pratiquement plus que par l’utilisation de l’outil informatique, ce qui contribue aussi à altérer la perception pleine et entière de l’utilité deson activité.
On a également cru que l’on répondrait aux exigences de performance en optimisant l’activité de chacun. Qu’on ne s’y trompe pas, l’optimisation passe par un équilibre, à l’image d’un arc boutant gothique, entre exigence de performance et intelligence des moyens. En une phrase, on pourra d’autant plus demander auxsalariés que les relations humaines seront d’une qualité exceptionnelle.
Dans le même sens, de récentes études canadiennes ont montré que « les encouragements au travail ont un effet protecteur contre les troubles psychiatriques. À l’inverse, une absence de soutien augmenterait de 31 % et de 43 % respectivement le niveau de stress et d’anxiété chez les hommes et les femmes ».
Le bien-être au travail est possible si l’on cultive le bon sens ; un bon sens qui permet l’expression de l’utilité de son activité vis-à-vis de ses collègues, d’autrui et de la société en générale ; un bon sens qui laisse volontairement une place à la liberté d’action ; un bon sens qui se souvient que l’homme est surtout fait pour vivre en … société !
Certaines entreprises s’engagent d’ores et déjà dans cette voie et allient performance et bien-être de leurs salariés. Il y a donc tout intérêt à les montrer en exemple pour que se créé une véritable contagion du bien-être au travail.